Il faut reboiser l’âme humaine

Se reconnecter au chaos harmonieux et à la diversité profonde d’une forêt, de notre forêt intérieure, c’est peut-être ce qui sauvera le monde.

Publié le

16 janvier 2022
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« Il faut reboiser l’âme humaine »

En voilà une belle phrase du défunt Julos Beaucarne. À l’époque de la lumière bleue, d’une certaine réconciliation avec les autochtones et de la pollution généralisée, ça résonne fort une phrase comme ça. N’est-ce pas un bel objectif? Lutter contre les angles droits de la vie, contre les angles morts aussi. Se reconnecter au chaos harmonieux et à la diversité profonde d’une forêt, de notre forêt intérieure, c’est peut-être ce qui sauvera le monde. C’est ce que je nous souhaite pour 2022.

J’ai dernièrement parcouru le livre La révolution d’un seul grain de paille de Masanobu Fukuoka. Cet agriculteur japonais nous rappelle l’importance du non-agir en agriculture et prône une agriculture sauvage. Il y fait l’apologie d’une agriculture libérée d’une certaine rectitude et d’un système traditionnel très exigeant en ressources humaines et matérielles. Il nous propose une vision, un système agricole qui porte beaucoup d’espoir et qui laisse un espace pour la poésie et l’émerveillement. C’est, je crois, dans cette direction que nous devons évoluer si nous voulons nous « reboiser l’âme ».

Petit extrait La révolution d’un seul grain de paille de Masanobu Fukuoka.

« Les méthodes de contrôle des insectes qui ignorent les relations entre les insectes eux-mêmes sont tout à fait inutiles. La recherche sur les araignées et les cicadelles doit aussi considérer la relation entre araignées et grenouilles. Quand les choses sont arrivées à ce point un professeur, spécialiste de la grenouille, deviennent également nécessaire. Des experts de l’araignée et de la cicadelle, un autre du riz, et un de l’irrigation devront se joindre au groupe. (…)

Nous venions juste de moissonner le riz, et en l’espace de la nuit le chaume du riz et l’herbe qui y poussait s’étaient entièrement couverts de toiles d’araignées comme de la soie. Ondulant et miroitant avec la brume matinale, c’était un coup d’œil superbe. (…)

Le spectacle est un drame naturel stupéfiant. En voyant cela, on comprend que les poètes et les artistes devront aussi se joindre au groupe. »

Petit bilan du verger spontané

À la suite d’un hiver relativement doux, les pommiers sauvages ont eu une floraison abondante. Tandis que plusieurs vergers québécois ont été très affectés par des gels tardifs suite à un printemps doux, il semble que les sauvageons n’aient pas été affectés. Mon père me faisait remarquer que la formation de l’arbre peut avoir un effet sur la résistance au gel. On a tendance à ouvrir l’arbre lors de la taille pour favoriser les rayons solaires et la production fruitière. En ce faisant, est-ce qu’on n’expose pas aussi les bourgeons floraux au gel? Tout compte fait, il semblerait que nos pommiers offrent une belle résistance aux aléas printaniers.

Un autre aspect très important dans la lutte contre les gels tardifs est la configuration même du terrain. Un site idéal est une pente légère dans les hauteurs, exposé au soleil et protégé des vents dominants. Ce site doit laisser une voie naturelle pour que l’air froid puisse se déverser dans les baisseurs du terrain. Il se crée alors de véritables lacs d’air froid, laissant ainsi les pommiers plus haut sur les coteaux à l’abri du gel. Notre verger, situé à environ 400 mètres d’altitude, semble prendre avantage de ce relief. L’air étant un fluide comme l’eau, il est intéressant de constater que les creux du terrain plus enclins au gel sont aussi l’endroit où les pommiers ne poussent pas. Qui aime avoir les pieds humides et froids?

L’été fut bien tranquille. Pas de fertilisation, 1 ou 2 traitements pour donner un petit coup de pouce à certains arbres qui semblent être moins outillés pour se défendre. Faut quand même aider les copains et être solidaires! Et puis qui sait, c’est peut-être une ”phase”, une petite déprime saisonnière. Alors c’est dans ces moments-là que mon père agite ses petites concoctions (bio bien sûr;) et qu’il vaporise sa bienveillance. Mais franchement, en général, le moral des troupes est bon!

Et puis l’automne qui suit…

Il faut s’imaginer. Nous sommes dans le verger au début de l’automne. Il y a de ces journées incroyables avec un je ne sais quoi. L’air sec et craquant sous un ciel bleu clair et limpide nous donne un répit des journées moites et lourdes de l’été. Il fait bon être dehors. Suer est agréable. Ce sont les récoltes et la nature nous rassure de son abondance et de sa bienveillance. Ce sont les belles journées de l’année, celles qui devraient servir de modèle, de gabarit pour tous les autres. Je m’imagine bien m’enraciner moi aussi, comme un pommier. Des racines jaillissent de sous mes pieds et s’insèrent profondément dans le sol. Il y fait frais et mes racines se déploient dans l’humidité du sol à la manière d’un chat qui s’étire. Elles ressentent l’affleurement rocheux pas si lointain, continuent leurs chemins jusqu’à une veine d’eau ou elles s’arrêtent, satisfaites pour l’instant.

Mes mains tournées vers le soleil, j’entreprends une conversation mycorhizienne électrochimique avec un vieux pommier tout près.

-Salut vieille branche! Comment vas-tu?

-Ah ça va. J’ai pris un coup de vieux dernièrement. Tu sais, je viens de souffler mes 80 balais. La santé ça va, mais il faut que je sois plus prudent. Mes branches sont encore productives, mais je dois absolument me reposer 1 année sur 2. Je tombe en dormance de plus en plus tôt et puis me réveiller au printemps, ouf, de plus en plus dur. Et puis il y a ces maladies qui m’angoissent, le feu bactérien, les moisissures, les champignons qui ne cessent de chercher un endroit où glisser sous ma peau. Tu sais, à force de compter les jours et les nuits, notre peau s’épaissit mais il suffit d’une brèche pour que le loup entre dans la bergerie. Alors oui ça va mais…

-Oui je vois. Oh mais regarde sous tes branches! Tu vois ces enfants qui viennent jouer? Il semble qu’ils t’aient choisi. Tu vois, avec tes belles grosses charpentières horizontales qui viennent effleurer le sol du bout de leurs doigts, tu offres un terrain de jeu idéal. Ton tronc incliné leur permet de grimper facilement et ton houppier dégarni leur permet de survoler des yeux leur royaume, comme des rois et reines. Tu vois comme ils ont du plaisir? Et puis tu es l’endroit idéal pour accrocher un hamac…

Un joli silence s’installe. Un merle vient se poser sur mes branches. J’ai toujours adoré me faire jouer dans les cheveux. Une impulsion électrique me ramène à notre conversation.

-Et toi, ça va?

-Moi oui ça va. Je vais bientôt balayer mes 40 bougies. Mes branches sont en pleine production! Tu sais c’est bien mais c’est parfois lourd à porter. Mais j’ai des bonnes racines et j’ai eu la chance de germer ici, dans ce champ. Et puis je suis toujours en amour, alors ça aide à calmer les angoisses et les tracas. Alors pour la suite, j’espère et je touche du bois.

– …

-Si je capte bien tes phéromones, tu me semble anxieux vieille branche! Mais tu sais, ta pomme n’est pas tombée loin de toi, alors du haut de ma jeunesse, je peux t’aider. Je peux t’envoyer des signaux électriques à l’aide de mes racines et des phéromones dans l’air pour t’avertir d’un danger! Et avec l’aide des champignons et des copains bénéfiques, on va t’aider. Je vais faire attention en poussant pour ne pas ombrager tes feuilles, si tu as de la difficulté à te nourrir, nous t’aiderons. Tu vois, tu n’es pas seul!

-Ou si. Seul, mais seul ensemble! Allez, si tu veux, je te fais un câlin mais tu sais, je suis plutôt lent alors il va falloir être patient.

-C’est bon. Tu sais, la terre est lente mais les pommiers sont patients!

Bonne année!!!

Simon Beauséjour Boudreault